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La Jaunisse du Poisson
22 décembre 2016

La question de la laïcité

La question de la laïcité revient avec force dans le débat politique actuel à l’occasion des polémiques sur le « burkini ». Pourtant, la notion de laïcité est elle-même mal comprise et en découlent confusions et erreurs, qui ne font qu'obscurcir le débat. Les interventions intempestives d'une partie de la « gauche », tenant un discours du genre « libéral-libertaire », ne font que rajouter à la confusion. Il faut rappeler un certain nombre de principes, qui avaient été élaborés dans un ouvrage que j'ai publié au début de cette année(1), pour permettre une discussion au fond. 1. La laïcité principe d'organisation politique. Ce qui fonde la laïcité, c'est la nécessité de dégager l'espace public de thèmes sur lesquels aucune discussion raisonnable c'est-à-dire fondée sur la raison ne peut avoir lieu. La laïcité est donc un principe d'organisation de l'espace politique, et par extension de l'espace publique. C'est l'une des leçons chèrement apprise par la France (et une partie de l'Europe) lors des guerres de religion du XVIe siècle. La laïcité ne se comprend que pour qui conçoit le « peuple » comme une assemblée politique et non ethnique ou religieuse, et elle apparaît comme le pendant de la souveraineté. En effet, la souveraineté, en faisant entrer la question du pouvoir dans le monde profane, impose en réalité le principe de laïcité. Tel est l'enseignement d'auteurs comme Bodin, Hobbes et Spinoza. Ce qui permet la laïcité, c'est la distinction entre sphère publique et sphère privée. Tant que cette distinction n'existe pas, on ne saurait parler de laïcité. De ce point de vue la laïcité est le contraire du totalitarisme qui, lui, prétend asseoir une vision totale en niant la distinction entre ces deux sphères. La laïcité et la démocratie partagent donc les mêmes préalables. Mais la distinction entre ces sphères est mouvante, historiquement déterminée. Cela impose de reformuler constamment les matérialisations de ce principe. Certaines de ces matérialisations sont contenues dans la loi. On parle beaucoup et trop de la loi de 1905. Mais cette loi n'est pas à proprement parler une loi de laïcité; elle n'est qu'une loi de séparation de l'église et de l'État, de plus édictée dans un contexte particulier, qui vise à une forme de pacification de la question religieuse. De ce point de vue, les rappels, à la loi de 1905 sont inopérants car ils identifient et cantonnent la laïcité à des règles juridiques particulières alors que la laïcité est un principe politique qui peut, selon les sociétés et les époques, prendre des formes juridiques différentes. 2. Un principe n'est pas une valeur Une autre confusion vient de l'assimilation de la laïcité avec une valeur individuelle, comme l'est la tolérance. Or, la question de la tolérance ne fixe que les limites qu'un individu s'impose à lui-même, mais non des principes. Un principe politique organise un espace et se matérialise en règles spécifiques. Certaines de ses règles peuvent être des règles de liberté (la liberté de culte par exemple) mais d'autres sont des interdictions. Un des problèmes majeurs que rencontre aujourd'hui le principe de laïcité vient justement de l'incapacité de nombreuses personnes à se représenter la société autrement qu'à travers le rapport qu'elles ont directement avec cette dite société. D'où, bien évidemment, l'idéologie « libéral-libertaire », qui ne fait que donner forme à l'individualisme le plus crasse. Or, dans le même temps que les sociétés capitalistes modernes « produisent » l'individualisme (au sens vulgaire du terme) de la manière la plus brutale, elles imposent — à travers la réalité de la densité sociale(2) - la nécessité de penser la société à travers une vision holiste. Il convient alors de ne pas la transformer en une nouvelle religion, comme l'a tenté, après d'autres, Vincent Peillon(3). Ces termes recouvrent la tentative de sacraliser un certain nombre de principes. Ils oublient que la laïcité est un principe politique et non une position philosophique(4), même si il y a une philosophie qui peut s'inspirer de ce principe. Sur le principe, la reconnaissance des deux sphères de la vie des individus et l'appartenance de la religion à la sphère privée, par contre il n'y a pas à transiger. C'est bien dans une exclusion de la place publique des revendications religieuses et identitaires que pourra se construire la paix civile. 3. De la séparation entre sphère publique et sphère privée Cette séparation, pourtant, ne saurait être stricte. D'une part en raison de la contribution de nos valeurs individuelles à notre vie en société, et d'autre part en raison des habitudes, coutumes, et comportements, qui constituent de ce point de vue le soubassement historique de TOUTE société, mais aussi les bases de leurs différences. Cela explique — en partie — la spécificité « française » du débat, mais aussi la sensibilité légitime de la société française à la question du « burkini ». L'un des facteurs de la reconfiguration de la séparation entre sphère privée et sphère publique a été la reconnaissance (oh combien tardive) de l'égalité entre hommes et femmes. Cette reconnaissance s'inscrit, dans les sociétés d'Europe occidentale à la fois dans l'histoire longue (de «l'amour courtois » à la volonté des maris de préserver la vie de leurs épouses par des formes de contrôle des naissances dès le XVIIIe siècle(5)) et dans l'histoire « courte », marquée par la 1ère guerre mondiale et les mouvements qui ont associés la lutte pour des droits politiques, sociaux, et démocratiques (avortement, contraception) dans la seconde moitié du XXe siècle. Cela implique qu'une attention particulière doit être consacrée à ce qui, dans des comportements, peut constituer une remise en cause de cette égalité, et en particulier par des tentatives de marquage « au corps » visant à stigmatiser une soi-disant « infériorité » des femmes. La question de l'égalité entre hommes et femmes se devrait de trouver une application juridique plus explicite. Rappelons que le principe en est inscrit dans le préambule de la Constitution. Tout « marquage au corps », dès lors qu'il est porteur de ségrégation, est une atteinte au principe d'égalité. C'est d'ailleurs bien comme cela que l'interprètent des personnes issues ou vivant dans des sociétés de tradition musulmane. Très clairement, sur ce point, la loi est défaillante. La séparation des sphères privées et publiques est donc aussi toujours socialement contextualisée, historiquement et géographiquement. Méfions nous donc des anachronismes qui cherchent à présenter comme invariant des formes nécessairement mouvantes; nous ne sommes plus en 1905. La laïcité n'est pas un cadre juridique et ne se réduit pas à la loi de 1905, c'est l'une des leçons du débat actuel. Mais il faut aussi comprendre que les frontières entre sphère privée et sphère publique ont changé, à la fois du fait des évolutions de la société et du fait des mutations techniques. Pourtant, la notion de frontière, elle, demeure. Elle est fondamentale pour la démocratie et contre le totalitarisme. La laïcité se matérialise différemment selon le contexte historique et culturel de chaque nation. La souveraineté, elle, nous impose de penser le « peuple » comme source de cette souveraineté et ce « peuple » est une construction politique, avec son histoire et ses traditions héritées de combats passés. Plus la souveraineté se délitera et plus les individus chercheront dans des appartenances de substitution, comme les appartenances religieuses, des remèdes à la perte du sentiment d'appartenance national. Plus elle se renforcera et plus la pacification de la société pourra progresser. Ce n'est que depuis que la souveraineté est ouvertement bafouée, contestée, que nous constatons cette remontée du problème religieux qui cache, en réalité, une forme de sentiment identitaire.

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La Jaunisse du Poisson est cette maladie qui contamine tout ce qui vit, un peu comme l'actualités qui nous démontre que nous vivons dans un monde de plus en plus noir. Voici donc mon regard pessimiste, vue du bocal.
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